La reliure en Chine, particularit¨¦ et ¨¦volution

 

par Christophe Comentale

 

Le livre manuscrit a laiss¨¦ des pi¨¨ces remarquables tant par leur contenu que par la façon dont ce contenu ¨¦tait prot¨¦g¨¦. les rapports entre le livre et la reliure ont eu des d¨¦veloppements bien diff¨¦rents suivant les ¨¦poques.

les ¨¦crits sont d'abord fix¨¦s sur des os de bovid¨¦s - l'omoplate surtout - , grav¨¦s, et des plastrons et carapaces de tortues. Ces documents propagent depuis la dynastie des Shang (XVIe-XIe si¨¨cles avant J.-C.) un savoir. Ils sont, parall¨¨lement, utilis¨¦s ¨¤ des fins divinatoires. Ces pratiques ont une grande importance : des sillons sont pratiqu¨¦s sur la face interne, ils sont brûl¨¦s, puis la marque laiss¨¦e est interpr¨¦t¨¦e. les caract¨¨res incis¨¦s portent l'objet des pri¨¨res relatives aux guerres, ¨¤ l'agriculture, aux astres, ¨¤ l'interpr¨¦tation des r¨ºves...

Au d¨¦but du si¨¨cle, un lettr¨¦, Dong Zuobin, s'est int¨¦ress¨¦ ¨¤ ces documents et a remarqu¨¦ que deux ou plusieurs plastrons de tortues peuvent recueillir la continuit¨¦ d'un ¨¦crit, et qu'ils ¨¦taient r¨¦unis afin d'avoir l'ensemble du contenu.

Cependant, en raison de leur peu de commodit¨¦, ces mat¨¦riaux ont, peu ¨¤ peu, ¨¦t¨¦ abandonn¨¦s pour d'autres supports tels le bois ou le bambou. Si leur origine est attest¨¦e pour une p¨¦riode qui remonte jusqu'¨¤ la dynastie des Shang.

Les plus anciens documents excav¨¦s datent du IIIe si¨¨cle avant J.-C. Ces livres ¨¦taient une suite de fiches (ou lamelles) longues et ¨¦troites, couvertes d'une, parfois deux, colonnes de caract¨¨res.

Le bois est utilis¨¦ surtout dans la partie septentrionale et semble avoir servi ¨¤ la retranscription des documents officiels, tandis que le bambou qui pousse dans le sud ¨¦tait plutôt r¨¦serv¨¦ aux documents litt¨¦raires. Le bois peut, apr¨¨s avoir ¨¦t¨¦ sci¨¦, puis s¨¦ch¨¦, ¨ºtre utilis¨¦. Pin, cypr¨¨s et saule sont des esp¨¨ces fr¨¦quemment utilis¨¦es.

 

Le bambou a un traitement plus complexe: coup¨¦ d'abord en sections, puis longitudinalement. les lamelles obtenues sont d¨¦barrass¨¦es de la couche verte qui les recouvre, par passage au feu, leur longueur varie de 13 cm ¨¤ une trentaine.

sur 0,5 ¨¤ 1,5 cm de large. Une sorte de sp¨¦cialisation s'est op¨¦r¨¦e. Sur les fiches courtes ou de longueur moyenne sont plutôt retranscrits les textes classiques comme les Entretiens de Confucius, le Classique des Mutations...

Ces lattes sont rassembl¨¦es entre elles par des liens des soie. de cuir ou de chanvre.

Deux liens ¨¦taient g¨¦n¨¦ralement attach¨¦s â l'extr¨¦mit¨¦ du " livre ", chaque moiti¨¦ de lien passant alternativement au-dessus et au-dessous de chacune des lattes. qui ¨¦taient parfois num¨¦rot¨¦es. L'ensemble ¨¦tait ensuite roul¨¦. Sur les lamelles de la dynastie Han (IIIe si¨¨cle avant - IIIe si¨¨cle apr¨¨s J.-C.). excav¨¦es ¨¤ Dunhuang (1), un oeilleton ¨¦tait perc¨¦. afin que chacune soit reli¨¦e aux autres. Parmi les tr¨¨s nombreuses pi¨¨ces apparues lors des fouilles. l'on peut citer un ensemble de 77 fiches. qui d¨¦crivent un inventaire d'armes. Il est dat¨¦ de 93-95 avant J.-C. Chaque fiche est longue de 23 cm sur 1,3 cm de large.

D'autres, datant de la fin de la dynastie des Han, sont longues de 27,3 ¨¤ 27,6 cm.

Elles retranscrivent L'Art de la guerre de Sunzi (auteur qui a v¨¦cu au Ve si¨¨cle avant notre ¨¨re).

La soie, d¨¦j¨¤ connue sous la dynastie des Shang, sert ¨¦galement comme support de l'¨¦crit. Attest¨¦s d¨¨s le VIe si¨¨cle avant J.-C.. les manuscrits les plus anciens poss¨¦d¨¦s aujourd'hui datent du IIIe si¨¨cle avant J.-C. Ce mat¨¦riau l¨¦ger mais coûteux ¨¦tait employ¨¦ pour des documents importants ou pr¨¦cieux. Il se pr¨¦sentait sous la forme de rouleau en une seule pi¨¨ce, ou en raccords. Certains textes classiques retranscrits ont n¨¦cessit¨¦ une longueur de plus de 7 m¨¨tres de ce mat¨¦riau. le texte, calligraphi¨¦, sur le rouleau.

¨¦tait doubl¨¦, et entour¨¦ d'une bordure de diff¨¦rentes couleurs. Ainsi, le souverain Taizong (626-649), de la dynastie des Tang, utilisait la couleur violette.

 

Le papier

 

La d¨¦couverte du papier, au Ier si¨¨cle avant J.-C., conduit ¨¤ une utilisation de plus en plus importante, pour, au IIIe si¨¨cle de notre ¨¨re, voir l'abandon des autres supports. Le livre de papier se pr¨¦sente sous forme de rouleau. Sa texture comprend des fibres de chanvre ou de ramie, de mûrier...

Le rouleau est constitu¨¦ d'une suite de feuillets rectangulaires coll¨¦s les uns aux autres. Au d¨¦but du rouleau, un feuillet de papier, plus ¨¦pais ou doubl¨¦, est repli¨¦ sur une tige, ce qui lui assure plus de rigidit¨¦ ; un ruban de soie est attach¨¦ au milieu de cette tige. Les caract¨¨res sont r¨¦dig¨¦s en colonnes. ¨¤ l'int¨¦rieur d'un cadre parfois id¨¦al ou trac¨¦ au plomb, ou au pinceau; il est la limite dans laquelle l'¨¦crit doit trouver sa place.

A la fin de l'ouvrage, un colophon contient les mentions de date et de lieu de publication de l'ouvrage.

Les rouleaux qui permettent la retranscription d'un ouvrage sont rassembl¨¦s par dix dans une enveloppe de soie, de brocart ou de bambou, voire de chanvre ou de papier.

 

L'imprim¨¦

 

Avec la naissance de l'imprimerie, avant le IXe si¨¨cle, sous la dynastie des Tang (618-907), la propagation des connaissances s'effectue diff¨¦remment. Les Chinois gravent leurs livres, textes et illustrations, en xylographie.

D¨¨s la dynastie des Song du Sud (11271279) apparaissent des zones importantes pour l'impression du livre: le Fujian, r¨¦gion côti¨¨re du Sud, puis les villes de Hangyhon et Suzhou, ainsi que le Sichuan. Les imprimeries-librairies sont aux mains de diff¨¦rentes familles, citons, ¨¤ Hangzhou, rue Nanda, l'¨¦tablissement de la famille Yin.

Le rouleau est d'un usage constant jusqu'au VIIIe si¨¨cle, ¨¦poque ¨¤ laquelle apparaissent de nouveaux types de livres.

 

La " reliure ¨¤ plis " ou " reliure accord¨¦on " est une transition entre le rouleau - car, comme ce dernier, elle est de longueur importante - et le livre. Ses diff¨¦rents plis superpos¨¦s aboutissent ¨¤ l'obtention d'un document de format rectangulaire. Cette ¨¦volution a lieu sous l'influence des classiques bouddhiques en sanskrit : en Inde, les sutras ¨¦taient r¨¦dig¨¦s sur des pothis. Les Chinois apportent quelques modifications ¨¤ l'aspect de ces documents : le sanskrit s'¨¦crit horizontalement, alors que le chinois est r¨¦dig¨¦ en colonnes; le format se doit d'¨ºtre plus en hauteur afin de r¨¦pondre davantage aux sp¨¦cificit¨¦s de la langue. Les plats avant et arri¨¨re de l'ouvrage sont r¨¦alis¨¦s par adjonction d'un papier fort, qui peut ¨ºtre de couleur, ou ¨¦galement en utilisant des ais de bois. Ce type de reliure n'est pas d'un maniement ais¨¦, il se d¨¦plie trop facilement, et se d¨¦chire apr¨¨s une utilisation moindre.

 

La " reliure papillon " apparaît d¨¨s la dynastie des Yuan (1280-1368) et jusqu'au milieu de celle des Ming (13681644) : les plis de gauche et de droite sont coll¨¦s, ce qui emp¨ºche toute ouverture inopportune. Lorsque le volume est consult¨¦, les pages ont l'aspect des ailes d'un papillon en vol, ce qui a donn¨¦ lieu ¨¤ cette appellation.

Sous la dynastie des Ming, l'on rencontre ¨¦galement la " reliure ¨¤ ficelle ". Ce type de reliure se compose de pages imprim¨¦es sur une seule face, pli¨¦es en deux feuillets.

La face vierge n'est pas visible, le cartouche contient des informations telles que titre de l'oeuvre, mention d'auteur, pagination qui sont ¨¤ la pliure.

La couverture du livre est g¨¦n¨¦ralement en papier pour les ¨¦ditions les plus courantes (romans. manuels. . .) ou en tissus de toutes couleurs (soies unies. ou ¨¤ motifs g¨¦om¨¦triques. de dragons, de ph¨¦nix...). Les grandes encyclop¨¦dies ¨¦dit¨¦es sous la dynastie des Qing : Recueil imp¨¦rial de livres nouveaux et antiques (Yushigujintushujicheng), Encyclop¨¦die en quatre magasins (Sikunquanshu) ont des couvertures en couleurs particuli¨¨res, rouge, verte, jaune, l'Encyclop¨¦die en quatre magasins, est organis¨¦e en quatre cat¨¦gories: livres philosophiques et classiques, litt¨¦raires, historiques...

Un certain nombre de piqûres sont faites ¨¤ quelques centim¨¨tres du bout des feuillets, tant de couverture que des pages, ¨¤ travers lesquelles l'on passe un fil. Ces piqûres peuvent ¨ºtre doubles, triples, le rendu est une suite de lignes parall¨¨les, qui deviennent une ornementation en figures g¨¦om¨¦triques, dont le but premier est une plus grande solidit¨¦ de l'ouvrage.

Pour certains, pr¨¦cieux, un emboîtage en bois est confectionn¨¦ ; il est ¨¦galement en tissu, tr¨¨s souvent bleu fonc¨¦, avec pi¨¨ce de titre blanche, rectangulaire, sur la face sup¨¦rieure.

 

Avec la fin de la dynastie des Qing (derni¨¨res ann¨¦es du XIXe si¨¨cle et premi¨¨re d¨¦cennie du XXe), sous la pression de la p¨¦n¨¦tration ¨¦trang¨¨re, le livre change peu ¨¤ peu: l'on peut citer des reliures traditionnelles accompagn¨¦es de planches hors-texte (gravures sur cuivre) ; cependant. ces ¨¦ditions, rares, ne supplantent que tr¨¨s exceptionnellement les reliures ¨¤ ficelle.

Il faut attendre le XXe si¨¨cle pour voir la Chine s'¨¦quiper conform¨¦ment aux nouvelles technologies qui proviennent de l'Occident : l'occupation japonaise, la coop¨¦ration sino-sovi¨¦tique, l'aide am¨¦ricaine. . . ont laiss¨¦ au pays la possibilit¨¦ de voir des volumes in-quarto, in-octavo, broch¨¦s, cousus, coll¨¦s... Les formats du papier sont donc inspir¨¦s de ces pays.

Actuellement, les bibliophiles chinois recherchent avec autant de passion que leurs homologues d'autres pays. les reliures anciennes, remarquables, certes, par leur pr¨¦sentation : soieries utilis¨¦es, calligraphies des pi¨¨ces de titre... Cependant le contenu prime sur l'aspect ext¨¦rieur.

Ainsi. les ¨¦ditions Song sont les plus appr¨¦ci¨¦es en raison de la beaut¨¦ des caract¨¨res xylographiques ou mobiles imprim¨¦s, de la provenance de l'ouvrage...

 

Avec la modernisation intensive qui a gagn¨¦ le pays, les ¨¦ditions actuelles peuvent ¨ºtre de grande qualit¨¦, au niveau typographique, dans le choix des illustrations, sans que la reliure occidentale n'ait pu d¨¦boucher sur une cr¨¦ativit¨¦ int¨¦ressante. La reliure traditionnelle chinoise est, et reste, totalement diff¨¦rente, non seulement au niveau de son aspect, mais ¨¦galement par la façon dont le collectionneur l'appr¨¦hende, la conserve. Peut-¨ºtre cette p¨¦riode de transition donnera-t-elle un renouveau ¨¤ cet art.

 

Article paru dans la revue Art et m¨¦tiers du livre, 1987 (144)